Sous le titre “Mères à l’étranger et féministes”, Collectives, le groupe de parole entre femmes initié par Traits-d’Union a organisé avec son homologue argentin SoliFem une rencontre en ligne autour du thème de la maternité à l’étranger mardi 30 mars.

Nous étions une dizaine de francophones, âgées de 28 à 70 ans, résidentes au Brésil et en Argentine, et avons échangé autour de la maternité, ce qu’elle signifie pour nous, qu’il s’agisse d’un désir, d’une expérience non désirée, ou d’une réalité. 

Un sentiment de hiatus entre l’identité de femme et l’identité de mère

Nous sommes parties de la question suivante : comment, selon nous, les identités de femme et de mère, dialoguent-elles entre elles ? Existe-t-il un fossé entre la liberté que nous voulons cultiver dans nos vies de femme et celle à laquelle on peut prétendre en tant que mère ?

Des points de vue variés ont été exprimés, mais une ligne de force s’est dégagée. S’il peut exister pour certaines un sentiment de hiatus entre leurs identités de femme et de mère, celui-ci résulterait avant tout de la dévalorisation des pratiques liées au soin (cuidado, cuidados, care). 

On a souligné une vraie contraction entre la valorisation sociale dont on peut jouir en accédant au statut de mère (valorisation et satisfaction qui correspond au fait d’être “dans la norme”) et la dévalorisation concomitante des activités qui sont au coeur de la situation de mère—à vrai dire de celle de tout parent s’il n’existait pas jusqu’à ce jour une division aussi rigide des rôles. 

Au Brésil, la survalorisation sociale de la maternité

Au Brésil, certaines participantes sont allées jusqu’à évoquer une survalorisation sociale de la maternité. Une survalorisation qui a tendance à accentuer la condamnation de celles qui ne sont pas mères ou de celles qui ne collent pas à l’image de la « bonne mère ». Mais qui d’autre part ne s’accompagne pas de l’appui public qu’on pouvait espérer à titre de compensation.

Celles qui résident au Brésil ont aussi insisté sur les difficultés socio-économiques auxquelles sont confrontées les mères. X nous racontait par exemple que son premier salaire d’employée qualifiée à temps plein au Brésil ne lui permettait même pas de payer la crèche de son enfant, pointant par là qu’une vraie force de dissuasion à l’emploi s’exerce sur les mères en début de carrière.

À l’étranger, la langue maternelle comme outil d’ancrage

De belles choses sur la situation de mère à l’étranger ont été partagées. Y a expliqué qu’ayant eu son enfant loin de sa famille et de ses proches, elle a utilisé sa langue maternelle comme un outil d’ancrage. En parlant et en chantant pour son futur bébé en français, elle a créé une bulle sonore capable de contenir ses appréhensions.

Se réinventer mère loin des schèmes parentaux

Z et d’autres ont fait remarquer qu’être mère loin du cocon familial où l’on a grandi ouvre aussi un grand espace de liberté. Chez soi, on peut se sentir jugée ou astreinte à reproduire des schèmes parentaux dont il est plus facile de se défaire loin de ses proches, au sein d’une autre culture. 

De plus, si on retrouve un certain nombres d’injonctions communes autour de la maternité d’une culture à une autre, des différences apparaissent et peuvent offrir de nouvelles possibilités d’expérimentation, de nouvelles façons d’envisager ou de vivre la maternité. 

La possibilité de ne pas être mère

Enfin, W nous a rapporté que, vivre loin de son pays d’origine lui avait ouvert les yeux sur la possibilité de ne pas être mère, lui avait permis d’explorer cette possibilité en elle-même. L’occasion de rappeler que le choix de ne pas être mère reste très marginalisé, laissant finalement aux femmes peu d’espace pour réaliser ce désir. 

Pour un grand nombre de participantes, résider à l’étranger a provoqué un bousculement des repères identitaires et culturels, un bouleversement déstabilisant mais qui autorise aussi une certaine liberté et nous permet d’être plus fidèles à nous-mêmes, à faire nos propres choix et à naviguer entre plusieurs manières de vivre sa maternité, voire même de la refuser.

J’ai personnellement adoré ce moment d’échange et de sororité. Puisque chaque discussion en ouvre dix autres, je vous invite à apporter votre grain de sel, votre matière à penser et à sentir, à nos prochaines rencontres!

Ressources

12 militantes à suivre quand on s’intéresse à la maternité

Mamá desobediente

Être mère et féministe: vers un nouveau féminisme politique

Sorcières: la puissance invaincue des femmes

« No quise mostrar una maternidad rosa e edulcorada, sino más real »

Eva