On estime qu’environ 220 000 femmes françaises sont victimes de violences conjugales1, chaque année2. Environ 2.5 millions de français.e.s vivent à l’étranger. Pourtant, nous ne disposons d’aucune statistique en ce qui concerne les violences conjugales dont sont victimes les femmes expatriées. Cela est l’indice d’une méconnaissance, tant du problème, que de son ampleur. Nous, nous proposons ici de faire une brève revue du traitement des violences conjugales touchant les français.e.s établis hors de France. Que dit le droit français? Comment les institutions de la France à l’étranger l’appliquent-elles localement? Enfin, existe-t-il des initiatives citoyennes, issues de la société civile, capables de corriger certains manques, et de répondre à des besoins ? 

Les droits des françaises à l’étranger victimes de violences conjugales 

Que dit le droit français ?

La prévention et la répression des violences conjugales sont prévues par loi française depuis le 4 avril 2006. Cette législation a été améliorée et complétée à plusieurs reprises, jusqu’à aujourd’hui. C’est en 2020, qu’une proposition de loi issue de la commission mixte paritaire (CMP) visant à protéger les victimes de violences conjugales, introduit pour la première fois un amendement réservé aux personnes victimes établies à l’étranger. Après le paragraphe 4° de l’article 10 de la loi n° 2013-659 du 22 juillet 2013 relative à la représentation des Français établis hors de France, il est inséré un paragraphe 4° bis ainsi rédigé : 

4° bis Les violences conjugales concernant les Français établis hors de France. (loi du 30 janvier 2020)

Loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales. https://bit.ly/2VBWEGJ

Cet amendement s’ajoute à la loi du 22 janvier 2013 relative à la représentation des Français de l’étranger, stipulant que:

“La loi pénale française est applicable à tout crime, ainsi qu’à tout délit puni d’emprisonnement, commis par un Français ou par un étranger hors du territoire de la République lorsque la victime est de nationalité française au moment de l’infraction”.

 LOI n° 2013-659 du 22 juillet 2013 relative à la représentation des Français établis hors de France. https://bit.ly/36G0Sna

Un rapport gouvernemental sera désormais consacré chaque année à la question des violences conjugales chez les Français.e.s établis hors de France. Un grand pas a donc été franchi tout récemment, du point de vue de la reconnaissance légale.

Droit français et Droit local

En théorie—au vu de la loi du 30 juillet 2020—le droit français devrait pouvoir s’appliquer à l’étranger, en matière de violences conjugales. Cela étant dit, Claudine Lepage, Sénatrice des Français de l’étranger, rapporte que dans le cas ou le droit local reconnaît les violences conjugales, ”il est souvent plus simple de déposer plainte dans son pays de résidence”. 

On notera alors que le droit brésilien possède la Loi loi 11.340 du 7 août 2006, connue comme la Loi Maria da Penha, considérée par l’ONU comme l’une des meilleures législations au monde. La Loi Maria da Penha prend en compte cinq types de violences : la violence physique, psychologique, sexuelle, patrimoniale et morale. Son application s’étend au-delà des violences de couple pour inclure également les violences intrafamiliales (entre beau-fils et belle-mère, frère et soeur, filles et mères etc…). Rappelons qu’elle prévoit un délai de traitement des demandes accéléré. Suite à la déposition d’une plainte, et à l’exécution du rapport de police (“boletim de ocorrência”), les commissariats disposent d’un délai de quarante huit heures pour analyser les demandes de protection des victimes de violences conjugales. De plus, la loi a été à l’origine de l’instauration de tribunaux spécialisés “Juizados de Violência Doméstica e Familiar contra a Mulher”, équivalents brésiliens des juges aux affaires familiales français. Au-delà des tribunaux, il existe d’autres structures et services aux personnes victimes de violences familiales, tels que les refuges (Casas-abrigo), les commissions spéciales de la Défense publique (Núcleos de Defensoria Pública), missions locales (CIAM)—la liste complète est à retrouver à la fin de l’article, avec les informations de contact. 

Les actions institutionnelles locales

Actions et diagnostics

Avant l’adoption de la loi du 30 juillet, on recense peu d’actions et de débats au niveau institutionnel. En 2016, un séminaire ayant pour thème les violences conjugales est organisé par le Ministère des Affaires Étrangères. Y est abordée la question de la formation des personnels du Ministère, sans que l’on connaisse réellement les retombées de ce dialogue. Un Grenelle contre les violences conjugales s’est tenu à l’automne 2019, intégrant le cas des Français.e.s de l’étranger, à son ordre du jour. Des auditions et consultations ont été menées en amont auprès des conseillers des Français de l’étranger (acteurs de terrain, victimes de violences conjugales). Un appel à témoignage anonyme a également été lancé dans le monde entier. Cette enquête a révélé : 

(…) que l’ampleur de ces violences était bien réelle et que l’expatriation constituait un facteur aggravant, en raison notamment de l’isolement extrême des victimes. 

Déclaration de la députée Amélia Lakrafi (LREM). https://bit.ly/3mHpSA1

Par ailleurs, cette enquête a également montré que le problème ne se situait pas du côté de la sensibilisation :

(…) au vu du nombre de sollicitations et de réponses aux questionnaires, oui nous pouvons dire que nous arrivons à sensibiliser les Français de l’étranger. (…) nous avons été contactés via les réseaux sociaux. Des groupes privés facebook, lieux d’échange et d’écoute notamment, nous ont approchés pour nous alimenter aussi en témoignages et exemples de dysfonctionnement à corriger, une aide précieuse. 

Déclaration de la députée Amélia Lakrafi (LREM). https://bit.ly/3mHpSA1

Le bilan dressé par le dernier rapport gouvernemental sur les violences conjugales corrobore ce double constat. Il indique une augmentation du nombre de signalements de cas de violence, et souligne l’engagement des proches à dénoncer la violence : 

(…) ce constat s’applique également aux signalements reçus des consulats français s’agissant des violences subies par nos compatriotes expatriés. Cette implication des proches (voisins, famille, amis…) doit être saluée car elle souligne un changement de regard sur ces violences et l’émergence d’une responsabilité collective pour les dénoncer. (nous soulignons)

Sénat, “Violences envers les femmes, un confinement sans fin”. https://bit.ly/33IVygU

Failles

Les failles de la prise en charge des victimes de violences conjugales tiennent à d’autres facteurs, parmi ceux-ci, on peut rappeler que, jusqu’à récemment, le cas des Français de l’étranger a simplement été omis. Le droit français ne prévoyait tout simplement pas cette circonstance. À cela, il faut ajouter qu’il n’existe pas de procédure commune à l’ensemble des institutions françaises de l’étranger, touchant à l’attribution des ordonnances de protection. Enfin, on peut parler d’un manque d’initiative dans certains postes consulaires. Au Brésil par exemple, on peut déplorer un manque de communication autour du projet de formation des agents consulaires à l’accompagnement et l’écoute des victimes de violences conjugales. Difficile de savoir dès lors si le projet a vu le jour, ou s’il est resté lettre morte. 

Recommandations

La formation des personnels consulaires nous semble être un enjeu crucial de la protection des victimes de violences conjugales, compte tenu du double isolement3 auquel font face les victimes résidant à l’étranger (isolement lié à l’emprise exercée par le/la partenaire, auquel s’ajoute celui lié à l’éloignement géographique de la famille et des proches). Voir du triple isolement dans le cas des couples interculturels où le manque de repères culturels, mais également institutionnels, peut exacerber l’emprise en multipliant ses moyens. A cet égard, il est essentiel que, lors de leurs entretiens avec les Français, les agents consulaires sachent aborder le sujet des violences conjugales, et soient en mesure d’en déceler les signes. Un travail de communication est lui aussi essentiel (publication d’articles spécialisés sur les sites des ambassades et consulats, affichage des numéros d’urgence,  de la liste des services sociaux, et projets citoyens, dans les locaux). Une réponse inadéquate des institutions françaises de l’étranger ne doit pas venir dissuader davantage, les victimes qui sont parvenues à chercher de l’aide. 

Initiatives citoyennes et informations utiles

A l’échelle internationale, il existe au sein de la communauté des Français de l’étranger des initiatives citoyennes touchant à la question des violences conjugales. Ce sont principalement des groupes d’écoute et de discussion qui vont constituer des relais de soutien, mais aussi des lieux plus informels où il est possible de sonner l’alarme et trouver une première aide. Traits-d’Union a par exemple créé récemment un groupe d’écoute et d’échange entre femmes qui a vocation à pouvoir accueillir et soutenir les Françaises victimes de violences conjugales, résidant au Brésil. 

À l’échelle internationale

  • Numéro d’urgence disponible depuis l’étranger: +33 (0)1 80 52 33 76 et/ou victimes@france-victimes.fr
  • Annuaire international des services d’accueil locales: https://adobe.ly/37AL4kD
  • Pour un retour en France: les postes consulaires peuvent faciliter la délivrance de titres de voyage d’urgence dans les situations extrêmes. Par ailleurs, un travail de partenariat existe en lien avec les associations d’aide aux victimes de violences conjugales et d’accueil des expatriés de retour de l’étranger (Voix de Femmes, France Horizon), afin d’organiser le retour sur le sol national, et de garantir aux victimes l’accès à un hébergement et aux dispositifs sociaux.

À l’échelle du Brésil

  • Numéros d’urgence : 180 (Violations des droits de la femme); 100 (Violations des droits de l’homme); 190 (Police Militaire)
  • Pour dénoncer la violence dans les pharmacies de proximité : présenter le signe d’une croix rouge dessinée sur la main ou toute autre partie du corps au personnels
  • Plateforme Mulher Segura: lancées par l’ONU, cette plateforme et son application mobile réunissent les principaux services de défense contre les violences conjugales du Brésil: http://bit.ly/3rg8jJS.
  • Le réseau “Mapa do Acolhimento” propose un accompagnement psychologique et juridique gratuit: https://bit.ly/3oiVMD8 ; une carte des services de soutien et d’accueil est également disponible sur leur site: https://bit.ly/3lI9CNN.       

1 Nous citons ce chiffre et lui seul car: s’il est vrai que les hommes sont aussi victimes de violences conjugales, la proportion d’hommes concernés est incomparable avec celle de femmes. Rappelons aussi que bien que des études aient montré que la violence conjugale concerne tout autant les couples homosexuels que ceux hétérosexuels, en nombres réels, les femmes hétérosexuelles demeurent indéniablement et largement les plus touchées, c’est pourquoi, celles-ci seront mises en avant dans cet article. 

2 Nous proposons la définition de Marie France Hirigoyen, victimologue ayant contribué à l’adoption de la loi de 2006 sur les violences conjugales: “Il s’agit avant tout d’une maltraitance qui se produit dans l’intimité d’une relation de couple, quand l’un des partenaires, quel que soit son sexe, essaie d’imposer son pouvoir par la force”. Cf. Hirigoyen, Femmes sous emprise, Pocket, 2006. 

3 Notons que si les études scientifiques mettent l’accent sur la relation positive entre immigration et augmentation des risques liés aux violences conjugales, et s’intéressent avant tout—en toute logique—aux migrantes économiques, articulant les problématiques liées aux concepts de genre, de race, et de classe. Certaines conclusions peuvent s’appliquer aux françaises résidant à l’étranger, alors même qu’elles jouissent en moyenne de privilèges socio-économiques indéniables. D’une part, la précarité demeure un problème pour les partenaires d’expatriés (surtout les femmes) qui ne sont pas autorisé.e.s à travailler dans leur pays de résidence (et c’est le cas dans un grand nombre de pays!); d’autre part, la question de l’aggravation de l’isolement conserve sa pertinence,